Cette voix. Toujours cette voix. Non, ces voix. J'imaginais parfois que c'était comme dans les dessin animés. D'un côté l'ange, de l'autre le démon. J'avais ça en moi, l'ange et le démon, la vie et la mort. J'avais ces voix. Pas de vraies voix, je n'étais pas fous, mais des ressentis, de la culpabilité, du soulagement. Charles et Erik. Une dualité qui me hanterait sans doute pour le reste de ma vie. Ma malédiction ou ma chance, je ne sais pas vraiment. J'ouvrais les yeux, relevant la tête pour profiter une dernière fois de l'eau coulant sur mon corps. J'arrêtais l'eau avant de sortir de la douche et de me sécher. Le temps de mettre ma serviette autour de ma taille et j'entendis toquer. “ Entrez. ” Un garde. Ou bien un esclave ? Je n'aimais pas vraiment ça. Certes, je ne devais rien aux humains, Magnéto me l'avait dit, pour autant je ne prenais pas plaisir à les voir nous servir. “ Deux intrus, un mutant et une humaine, ils tentent de s'enfuir par la plage. ” Je soupirais avant de passer une main dans mes cheveux. “ Je m'en occupe, merci. ” L'inconnu referma la porte et s'éloigna tandis que j'allais enfiler l'uniforme réglementaire. Une tenue rouge, un rouge sombre, avec quelques éléments noirs et un badge sur l'épaule. Magnéto aimait faire son spectacle parfois, il aimait rêver comme un petit garçon. Une fois vêtu, je sortis de ma pièce, mais pas pour sortir. Pas de suite. Moi seul, ça ne suffirait pas, pas si un mutant était de la parti. Le but n'était pas forcément de le tuer en plus, de les tuer. Si la situation l'exigeait oui, sinon il fallait les ramener auprès du chef. Le mutant aurait ses chances, l'humaine par contre... Ils connaissaient les règles pourtant, tous les habitants les connaissaient. Des amoureux sûrement. L'interdit, c'était un tentation bien trop tentante pour beaucoup et ils y avaient cédés. Malheureusement, ils risquaient de le regretter. Je traversais les couloirs, saluant ceux que je croisais, esclaves compris. J'avais peut-être adhéré aux idéaux de Magnéto, mais je n'étais pas devenu un monstre pour autant. Est-ce que Magnéto l'était lui ? Non, pas de mon avis, mais il n'était pas parfait non plus. Qui l'était ?

J'arrivais finalement devant la porte que je cherchais et j'attendis un peu avant de toquer. Vu l'heure, il était peut-être occupé, je n'essayais donc pas d'ouvrir la porte. “ Piotr, on a du boulot. Un mutant et une humaine qui essaient de s'enfuir, dépêche-toi de t'habiller si c'est pas le cas, j'ai besoin de toi. ” Je parlais assez fort pour qu'il puisse m'entendre. La mission ne présenterait sans doute pas trop de difficulté, surtout à deux, mais à vrai dire ça me faisait plaisir de la faire avec Piotr. On savait travailler ensemble, on se comprenait sans se parler. Ça me permettrait de passer un peu de temps avec lui, après la mission sans doute. La solitude, je détestais ça et pourtant c'était ce qui me convenait le mieux. Mais avec lui pas besoin de me cacher, pas besoin de prétendre. Je pouvais être moi, dans toute ma dualité et il ne me jugeait pas. En tout cas, il ne le répétait pas. Pour lui aussi, ça ne devait pas être facile. Quand viendra le jour où il se retrouvera face à ses amis, à nos amis, comment est-ce qu'il va réagir ? Magnéto se fera une joie de l'envoyer en première ligne, il adore s'amuser avec les X-Men. La porte s'ouvrit et j'étirais un léger sourire. “ Je ne te dérange pas j'espère ? ” Mais c'était purement rhétorique, son boulot passait avant le reste, il le savait. Nous nous dirigions vers la sortie et ce n'est qu'une fois dehors que je lui donnais plus de détails. “ Ils se dirigent vers la plage, sans doute le romantisme du lieu. On peut facilement les rattraper je pense. Premier arrivé ? ” Et une fois encore, je ne lui laissais pas le temps de répondre.

J'étais parti en avance, profitant de sa surprise pour grappiller quelques secondes. J'étais plus fin, j'avais mes chances de gagner, non ? Je courrais droit devant moi, sans regarder derrière, sans chercher à savoir le chemin que prenait mon ami. Je me rapprochais de la plage, petit à petit, jusqu'à ce que mes chaussures s'enfoncent dans le sable. Je regardais autour de moi pour voir Piotr, mais il n'était pas là. Il n'était pas là ? Il n'arrivait même pas. Merde, il s'était pas perdu quand même ? Non, la plage, c'était ici. En tournant la tête, j'aperçus cependant deux silhouettes un peu plus loin. Lui n'était pas là, mais eux si. Super, j'allais devoir me taper le boulot tout seul. Je m'avançais vers les deux. “ Dites, vous savez que vous enfreignez les règles la, pas vrai ? ” La femme se cacha derrière l'homme et ce dernier leva la main dans ma direction. Tout à coup, je m'enfonçais dans le sable. Sérieusement ? Il contrôlait le sable ? Sur la plage ? Putain. Piotr, c'était le moment d'intervenir mon pote !

Piotr semblait grognon ce soir. Enfin, si ce n'était que ce soir. Mais qui pouvait lui en vouloir après tout ? Qui pouvait le blâmer pour ce trou dans son coeur ? Il avait perdu sa soeur à cause de ce virus, il l'avait perdu et il s'était perdu en chemin. Il n'avait même pas besoin de le dire, c'était clair comme de l'eau de roche. Pour celui qui le connaissait un peu bien entendu. Piotr n'allait pas bien, mais il n'était pas question que je le soigne. J'aurais voulu pourtant, j'aurais voulu tellement de fois quand je voyais cette peine dans ses yeux. Ce point noir qui l'obsédait et le rongeait. Mais il y avait certaines douleurs qu'il fallait garder en soit, une leçon du Professeur Xavier. Certes je ne suis pas de son côté, mais il a été mon premier professeur et l'un des plus sages. Je pouvais tenter d'apaiser la peine de Piotr, mais il avait besoin de cette dernière. Ce qu'il en faisait, c'était son choix. Soit il se laissait succomber, soit il la combattait. En tous les cas je n'avais pas le droit d'intervenir, la voix du Professeur m'en empêchait malgré tout. Mais si je ne pouvais pas le soigner avec mes pouvoirs, je pouvais toujours tenter d'apaiser sa douleur par des sourires, par des moments partagés, par mon amitié et ma complicité. C'était la seule façon que les humains connaissaient pour guérir et ce n'était pas si bête. C'est pour ça que même en mission, j'essayais de le motiver, de lui lancer un défi. Défi qu'il ne sembla pas relever étant donné qu'il n'était pas là. En ce moment, Piotr était sans doute mon patient le plus dur à soigner, si je pouvais le dire dans ces termes. Mais je n'abandonnais pas, je ne l'abandonnerais pas.

Enfin pour le moment, c'était plutôt moi qui avait des soucis. J'allais y passer sans même avoir le temps de tenter quoi que ce soit. En même temps, le contrôle du sable sur la plage. C'était le bon Dieu qui s'acharnait ou quoi ? Mais heureusement, je vis la silhouette de Piotr courir, se changer et attraper notre cible. Je soupirais de soulagement tandis que le sable relâchait son emprise sur moi. Je pouvais me mouvoir à nouveau. Je lève un pouce en l'air pour répondre à Piotr, mais il ne me regarde pas. “ Tout va bien ! Merci Piotr. ” T'es peut-être lent, mais tu sais arriver au bon moment. Enfin, pas la peine de le comparer à une tortue, pas quand il vient de me sauver la vie. Je m'approche de lui et du couple, les mains sur les hanches. Quand Piotr faisait la morale, ça avait toujours un côté effrayant. Il était imposant alors forcément, ça en jetait. Pourtant, c'était toujours le même manège. Les autres n'avaient pas l'air d'avoir si peur, c'était... autre chose. Sa dualité. Et en ça, je le comprenais. Lui aussi était partagé, entre son chagrin et ses amis, entre la vengeance et l'amour. Je levais les yeux au ciel, même si j'étais loin de le juger. Nous venions du même endroit et je comprenais aussi sa réticence. Mais notre différence était dans notre évolution. Lui n'avait connu que les X-Men, moi j'avais passé des années sous l'influence de Magnéto.

La femme s'effondre, pleure et je n'aime pas ça. Mon cœur se serre. Elle va mourir, elle le sait. Elle a essayé malgré tout. Piotr se tourne vers moi et j'hausse un sourcil à sa question. Non, pas sa question, sa requête. Sérieux ? Ça me faisait aussi mal que lui de voir quelqu'un au bord de la mort, de voir la condition des humains ici. Mais oui, ça devait être encore pire pour lui. “ Pas de soucis... ” Je m'avance alors vers la femme et me baisse pour être à son niveau. Je ne l'envie pas, je la plains. Mais notre devoir est de la ramener. Ou de la tuer. Ce que nous ne voulons pas faire. “ Tout se passera bien, peut-être que... Peut-être qu'il ne sera pas... cruel. Mais vous avez désobéi. Si votre mar... Le mutant qui vous accompagne se comporte bien, il y aura peut-être une chance. ” Pour elle non, mais je n'étais pas capable de lui dire qu'elle allait se faire tuer de sang-froid. Je tendais ma main, pour l'aider à la relever quand le sol se mit à trembler. Le sable se leva en grande quantité, menaçant. Ce mec allait nous tuer, tous les quatre. Il n'avait plus rien à perdre. J'agissais avant Piotr. Ma peau devint alors noire et il me suffit de le toucher. Un contact et le sable retomba en même temps que la tête de l'homme. Il était mort. Je l'avais tué. Et j'avais ce sentiment, ce sentiment agréable que je détestais. Prendre une vie humaine. L'humaine hurla de chagrin et ce sentiment s'en alla bien vite tandis que ma culpabilité prit sa place. Ma peau redevint beige et j'observais le corps, coupable. Je levais les yeux vers Piotr, comme s'il pouvait m'aider. Mais que pouvait-il faire ? “ Désolé... ” C'était toujours comme ça. Toujours. Je n'aimais pas ça. Je serrais les poings, me tournant vers l'humaine. “ Fuyez ! Fuyez vite avant que je ne change d'avis ! Trouvez un moyen de partir de cette île ! ” Et elle n'attendit pas pour se mettre à courir.

Tout cet entraînement, toutes ces années pour rien. Je n'arrivais toujours pas à contrôler mon pouvoir, c'était plus fort que moi. Je me laissais tomber sur le sable, relevant les jambes et les attrapant avec mes bras tandis que je regardais la mer face à nous. Il n'était pas question que je rentre, pas tout de suite. “ Je sais, j'ai foiré... ” Un mutant mort et une humaine en fuite. Magnéto n'allait pas aimer ça. Tant pis, je n'aurais pas pu la tuer en plus. “ C'est ce que tu voulais aussi, pas vrai ? La laisser partir. Les laisser partir. ” C'était mon ami le plus proche ici, mon partenaire à Genosha, je commençais à le connaître par cœur à force. “ Regarde-nous... Quels abrutis. Partagés entre deux camps, entre deux buts, entre deux sentiments. La haine et l'amour. La vie et la mort. ” Il ne fallait pas tuer pourtant, je l'avais fait. Plusieurs fois. Piotr ne m'avait jamais rien dit à ce sujet, mais peut-être qu'il n'en pensait pas moi. “ Est-ce que tu me détestes quelque part ? J'ai tué, pas toi. J'ai bafoué l'apprentissage du Pro... de Charles Xavier et toi non, malgré ton appartenance. Est-ce que tu m'en veux ? ” Il avait peut-être plus important à penser. Sa sœur le préoccupait bien plus que quiconque ici. J'avais peut-être la capacité de la ramener, mais je n'avais jamais essayé. Je ne m'en sentais pas capable, pas encore. “ Tu sais Piotr, je peux t'aider... Je peux soigner ta peine ou au moins l'apaiser. Mais je... J'estimais qu'il ne fallait pas le faire. ” Je tournais mon regard vers lui, perdu. “ Tu voudrais que je le fasse ? Que je t'aide ? ”

Soigner. Tuer. Blanc ou noir ? Charles ou Erik ? Des choix, toujours des choix. Et les conséquences ensuite, celles qu'on doit assumer. Piotr s'approche de l'humaine et j'entends qu'il lui donne une astuce, un moyen de s'en sortir. Avec de la chance, elle s'en sortirait vraiment. Mais maintenant, elle avait perdu l'homme qu'elle aimait par ma faute. Les conséquences. Ces pouvoirs m'effraient. Je m'effraie. Je m'effraie et pourtant je me fascine en même temps. C'est tordu, mais c'est plus fort que moi. Est-ce que c'est comme ça ? Certains pouvoirs rendent fou ? Je suis mon ami des yeux alors qu'il s'assoit dans le sable à son tour et que sa peau reprend sa teinte normale. Mais je tourne aussitôt la tête et la baisse. Il voulait les sauver. Je voulais les tuer. Comment peut-il m'appeler ami après ça ? Comment peut-il encore croire en moi ? Nous sommes tellement différents et pourtant tellement semblables. “ Avoir quelqu'un qui nous aime hein ? ”  Je lève les yeux en l'air, admirant les étoiles un moment. C'est ce que j'ai toujours voulu. Je ne voulais pas d'amis qui vous tabassent parce que vous êtes un mutant, de parents qui vous traitent de monstre et vous renient. Je ne voulais pas de mutants qui vous rejettent pour vos erreurs passées ou ceux qui veulent de vous uniquement pour vos pouvoirs. L'amour. Je n'y avais pas le droit peut-être. Pas moi qui était à la fois soigneur et tueur. Comment aimer une personne qui est deux à lui-seul ? Mais je n'étais pas le seul à ressentir ça. Est-ce que Piotr manquait d'amour ? Ou bien est-ce que c'était son amour à elle qui lui manquait ? Je relève la tête et la tourne vers lui à nouveau, croisant le bleu profond de ses yeux.

J'étirais un léger sourire, presque imperceptible. Il avait confiance ? Eh merde, comment ne pas être à la hauteur après ça ? Pourtant j'étais sûr de le décevoir. Le choix, je ne l'avais pas. Ou plutôt si, mais dans un cas comme dans l'autre, j'avais peur des conséquences. Tuer Erik et après ? Un autre reprendrait sa place si ce n'est moi. Non pas que j'en ai envie, mais il y avait cet aspect qui m'effrayait. Et si cette facette s'emparait de moi ? Quant au héros, je ne sais pas de quoi il parle. Je n'ai jamais été un héros, pas comme lui. Pas comme Colossus. Cela dit, je comprenais un peu mieux sa décision désormais. Il n'avait pas trahi ses amis. Au contraire, il les aimait bien trop. Et puis, ce sourire idiot. Encore. C'était plus fort que moi. J'étais touché par ses mots, touché par ce que je représentais à ses yeux. Je n'étais pas le monstre ou l'atout, j'étais l'ancre. Alors ouais, encore le sourire idiot dont il parlait.

Ilyana. Je suis surpris de l'entendre, surpris de son ton aussi. Mais je ne fais aucun commentaire bien sûr. Je suis simplement soulagé qu'il en parle. Enfin. Qu'il lâche ce qu'il a sur le cœur. Je sens sa main soudain et mon regard me baisse vers cette dernière, dure et ferme. Je sens sa détresse dans sa poigne, sa douleur dans sa force. Peu m'importe. Qu'il me broie la main s'il le veut, je pourrais me soigner. “ Je t'abandonnerais pas non plus... ” Ça ne valait peut-être rien, mais peut-être que grâce à lui j'arriverais à ne pas me perdre. Si j'étais une ancre à Genosha, il pouvait être mon ancre face à cette forme noire. Je tournais ma main pour serrer la sienne en retour, lui montrer que ce n'était pas que des paroles en l'air et finalement mon regard se porta sur la mer tandis qu'un silence s'installa entre nous. Ce n'était pas de la gêne, simplement une promesse.

Au bout d'un moment cependant, je baissais les yeux. “ C'est un grand homme... Le professeur... ” Pas besoin d'en dire plus, il savait de qui je parlais. Lui nous aimait, tous. Lui m'avait toujours accepté et pas pour mon pouvoir. Le savoir dans cette cage, sans personne à qui parler... “ Il m'avait dit que certaines douleurs doivent être gardées, qu'on en a besoin... ” Piotr avait été assez intelligent pour suivre ce conseil, qu'il y ait eu le droit aussi ou pas. J'éprouvais du respect pour Magnéto, malgré tout, mais j'en éprouvais plus encore pour lui. Je tournais mon visage vers mon ami, mon allié. “ Je sais que c'est stupide, mais quelque part, je pense qu'Illya... ” C'était sûrement dur pour lui, mais c'était encore plus dur de le lui dire. “ Illyana est toujours là, avec toi. Elle ne pourrait pas t'abandonner elle non plus. ” Je l'observais. Il me faisait de la peine, il me faisait mal au cœur. Le grand Colossus, incassable et solide, me paraissait là tellement démuni et sans défenses. Ça a été plus fort que moi. Peut-être qu'au final, ce besoin de soigner, je l'ai au plus profond de mon être. Il ne voulait pas de mes pouvoirs, mais il y avait d'autres façons de soigner ou en tout cas, d'apaiser. Il m'avait donné la solution lui-même. Je me suis rapproché de lui, je lui ai fait face et j'ai déposé mes lèvres sur les siennes.  Mon geste était lent, tendre et il pouvait me repousser à n'importe quel moment. Je m'en fichais à vrai dire. Mais s'il acceptait, alors il acceptait mon aide. Au moins pour cette fois. Il ne s'agissait que d'un moment entre alliés, entre nous.